“Le rouge et le bleu. Voilà ses couleurs fondamentales. Non pas tant celles d’un spectre chromatique qu’elle aurait réduit aux seuls cyan et magenta, ni même celles de sa palette de peintre dont elle aurait fait son nuancier exclusif, mais bien celles de sa métaphysique personnelle.
Le rouge et le bleu sont l’abscisse et l’ordonnée de sa philosophie de vie. L’horizontale et la verticale qui structurent sa conception du monde visible et invisible. Les axes symboliques qui construisent sa relation à la réalité terrestre et à ce qui la dépasse.
Le rouge englobe tout ce qui est de l’ordre de la sensualité et de l’instinct, la chair et le sang, le rire et le mouvement, la vie. Le bleu, lui, est le royaume du silence, de l’écoute, du mystère et de la spiritualité. Il remplace l’émotion par la vibration, et l’ouverture au monde extérieur par la concentration et l’intériorité.”
Françoise Jaunin
Le rouge et le bleu. Voilà ses couleurs fondamentales. Non pas tant celles d’un spectre chromatique qu’elle aurait réduit aux seuls cyan et magenta, ni même celles de sa palette de peintre dont elle aurait fait son nuancier exclusif, mais bien celles de sa métaphysique personnelle. Le rouge et le bleu sont l’abscisse et l’ordonnée de sa philosophie de vie. L’horizontale et la verticale qui structurent sa conception du monde visible et invisible. Les axes symboliques qui construisent sa relation à la réalité terrestre et à ce qui la dépasse. Le rouge englobe tout ce qui est de l’ordre de la sensualité et de l’instinct, la chair et le sang, le rire et le mouvement, la vie. Le bleu, lui, est le royaume du silence, de l’écoute, du mystère et de la spiritualité. Il remplace l’émotion par la vibration, et l’ouverture au monde extérieur par la concentration et l’intériorité. La conjugaison étroite et féconde de la sensualité et de la spiritualité, tel est le sens de sa peinture. Comme de sa vie. Car le but de son travail de peintre n’est pas tant la production d’images que la quête de sens de soi, de la vie et du monde. Le parcours de l’oeuvre se confond avec le chemin de vie.
Ses commencements ont été ceux d’une petite fille timide et renfermée qui passait son temps à dessiner, alors même que, suite à un traumatisme crâ- nien à l’âge de quatre ans, elle voit double et ne perçoit pas la troisième dimension. Formidable défi, puisque c’est sur le terrain même de la vision qu’elle a choisi de se chercher. Mais l’a-t-elle vraiment choisi ? Ne seraitce pas plutôt la peinture qui l’a choisie ? Et même si elle a suivi les cours de l’Ecole des beaux-arts de Sion avant d’aller poursuivre sa formation à celle de Paris, elle considère qu’elle a fait l’essentiel de ses classes toute seule, en autodidacte. A Sion, l’enseignement était très orienté vers le graphisme, et dans le Paris post soixante-huitard, c’étaient les grandes discussions idéologiques qui, en marge d’un acadé- misme désuet, tenaient le haut du... pavé. Livrée à elle-même, la jeune Valaisanne fait donc sa catharsis toute seule. D’instinct, elle découvre très tôt que travailler avec un miroir lui donne une sorte de substitut à cette troisième dimension qui lui manque. Elle passe d’abord par une figuration lisse, virtuose et surréalisante. Puis elle se met, comme on crie et se cherche dans la colère et la révolte, à brasser les hautes pâtes et les véhémences expressives et à multiplier les autoportraits.
C’est alors seulement que sa peinture peut naître à elle-même. Tout commence vraiment en 1987. Et tout bascule en une nuit. Le choc esthétique qui déclenche soudain sous ses pinceaux le virage de l’abstraction n’est peut-être pas provoqué par un chef d’oeuvre absolu. Peu importe, la révolution devait être en marche à son insu, elle était prête. Et voilà que d’un coup elle peint trois grandes portes blanches. Géométriques. Mais d’une géométrie qui n’a rien de tranchant ni de sec. Une géométrie vibratoire. Le tournant est pris. Interloquée, elle s’interroge. Puis comprend et interprète ses portes comme des ouvertures à la fois vers son moi profond, vers la grande mémoire universelle et vers son besoin d’élévation spirituelle. Dès lors, son oeuvre prend la forme d’un chemin personnel. Et plus encore que le but ultime d’une inatteignable transcendance, c’est ce chemin-là qui est l’important.
Du catholicisme rigoureux dans lequel elle a été élevée sous le regard du Dieu de l’enfer qui culpabilise et qui punit, elle dit avoir mis vingt ans à se libérer. Reste, intact, son besoin éperdu de spiritualité. C’est la lecture des mystiques orientaux et des nouveaux scientifiques -notamment à propos de physique quantique- qui viennent désormais le nourrir et le guider. Pour elle, les voies pourtant si différentes des uns et des autres vont dans le même sens, et parfois même se rejoignent.
Les abstractions spirituelles : tel est le nom qu’elle donne à ce premier cycle de peintures réellement personnelles et portées par sa quête ardente d’une dimension métaphysique. Plutôt que strictement non-figuratives, elles renvoient de manière très allusive et stylisée aux grands symboles universels. On y devine, réduits à leur plus simple expression, des portes étroites, des anges noirs, des apparitions fantomatiques en quête de lumière, des montagnes magiques, des flèches brisées, des barques, des maisons, des échelles, des volcans endormis, des pierres philosophales... Mais les premiers rôles, dans ce théâtre du désir et de la transcendance, ce sont l’ombre et la lumière qui les jouent. Les ténèbres des lointains intérieurs et des mystères insondables y tiennent la plus grande part, mais la lumière qui les troue est souvent si intense qu’elle électrise la toile. Et l’ombre elle-même n’y est jamais épaisse, jamais « montée » en hautes pâtes. Elle reste légère, comme en suspension, prête à lever un coin du voile et à laisser circuler les mouvements de l’âme et de la pensée.
“A travers cette publication, la richesse et la diversité de l’œuvre de Marie Gailland sont dévoilées. Ses Abstractions spirituelles, ses Poèmes sauvages et ses Silences témoignent de son caractère polyphonique et foisonnant. Depuis qu’elle travaille, les formes, les figures, les styles n’ont cessé d’évoluer et constituent une solide et substantielle entité.
Sa créativité navigue ; son art nomade fait ressurgir, au fil de ses déambulations, ici la délicatesse des icônes ou l’évidence des grands symboles universels, là des motifs primitifs à la violence expressionniste.
Souvent, chez Marie Gailland, les éléments présentent cet aspect à la fois fascinant et insaisissable. Identifiables, ils nous deviennent familiers puis, l’instant d’après, nous peinons à les reconnaître. Sur la ligne de démarcation entre figuratif et abstrait, elle invite continuellement notre esprit à franchir la frontière dans les deux sens. De là le caractère surprenant de ses œuvres ; de là aussi, une partie de leur mystère.”
Julia Hountou
A travers cette publication, la richesse et la diversité de l’œuvre de Marie Gailland sont dévoilées. Ses Abstractions spirituelles, ses Poèmes sauvages et ses Silences témoignent de son caractère polyphonique et foisonnant. Depuis qu’elle travaille, les formes, les figures, les styles n’ont cessé d’évoluer et constituent une solide et substantielle entité. Sa créativité navigue ; son art nomade fait ressurgir, au fil de ses déambulations, ici la délicatesse des icônes ou l’évidence des grands symboles universels, là des motifs primitifs à la violence expressionniste.
Souvent, chez Marie Gailland, les éléments présentent cet aspect à la fois fascinant et insaisissable. Identifiables, ils nous deviennent familiers puis, l’instant d’après, nous peinons à les reconnaître. Sur la ligne de démarcation entre figuratif et abstrait, elle invite continuellement notre esprit à franchir la frontière dans les deux sens. De là le caractère surprenant de ses œuvres ; de là aussi, une partie de leur mystère.
Celui-ci ne se dégage pas que de la forme : la couleur l’engendre à son tour, lorsqu’elle est assourdie et nuancée avec délicatesse, mais aussi lorsqu’elle s’étale à plat, très vive, pure, franche et insistante. Elle possède une dimension secrète qui évoque une réalité transcendante, un certain « au-delà ». Les expansions chromatiques des Silences notamment sont douées d’une force mystique qu’elles transmettent au spectateur.
Porteuse de son propre message, la couleur s’affirme comme fondamentale et capte le regard. Si dans l’ensemble de ses œuvres, Marie Gailland fait appel à une palette chaude, à une large gamme de rouges qui évoquent le charnel, les émotions, le terrestre, l’horizontalité, elle tente aussi de prélever des échantillons de l’immensité azurée, manifestation de l’inaccessible et de l’absolu. Pour elle comme pour Kandinsky, Miro, Rothko ou Klein, traiter la couleur bleue renvoie à des connotations qui dépassent le seul critère esthétique. Cette teinte, qui fait écho chez l’homme à son aspiration à l’élévation porte à la méditation métaphysique. Le regard y plonge sans rencontrer d’obstacle et s’y perd à l’infini. Apaisante, elle invite à une évasion sans prise sur le réel. Ses œuvres aux titres évocateurs - Abstractions spirituelles : Transparence en bleu, trois fenêtres bleues… - s’ouvrent sur l’intangible et l’immatériel.
De surcroît, le mouvement ascendant perceptible dans la verticalité des portes, des flèches, des ailes, des montagnes… traduit cet élan de tout son être. Sensible à la richesse symbolique du chemin, la plasticienne suggère l’idée d’itinéraire, de parcours à accomplir et rejoint ainsi la pensée de Sartre : « Chaque homme doit inventer son chemin. » Le tracé de ces Chemins au sein des toiles dépouillées figure l’espoir d’un nouveau départ, d’une autre naissance au monde. L’artiste fraie un passage, non seulement dans l’espace, mais en elle-même, en parcourant les sinuosités de l’univers et les siennes propres dans un état de réceptivité et un esprit d’alliance. Le chemin initie sa métamorphose personnelle dans une découverte d’elle-même.
D’autres thèmes récurrents, tout aussi riches de sens, se font jour dans l’œuvre de Marie Gailland. A travers le motif de la maison décliné dans les Abstractions spirituelles et les Silences, elle rencontre la pensée profane de Bachelard lorsqu’il recommande : « Il faut que notre nuit soit humaine, contre la nuit inhumaine. Il faut qu’elle soit protégée. La maison nous protège. On ne peut pas écrire une histoire de l’inconscient humain sans écrire une histoire de la maison. » Cassée, de feu, dans le ciel, rouge qui fait l’amour avec le ciel, la demeure est une représentation symbolique de soi, de notre psyché, comme de notre corps, celui que nous habitons, celui que nous connaissons dans ses moindres détails ou au contraire imparfaitement. Chaque pièce en constitue une dimension intérieure, une facette de la personnalité. Les formes fondamentales simples, sobres, volontairement dépouillées des Deux maisons (1997) rappellent quant à elles les bâ- tisses sans ouverture, aveugles et lisses, peintes par Malevitch4. Noires ou rouges, dressées entre les horizontales du ciel et du sol, ces bâtiments clos symbolisent l’expérience intérieure parfois incommunicable.